Dans un pays fort fort lointain, dans une époque très très lointaine….
On avait tout bien organisé. Les gens s’échangeaient des
services, des denrées. Pour ça, ils avaient un moyen neutre. On avait
appelé ça l’argent. C’était pratique ça permettait toutes sortes
d’échanges. Ça évitait de se demander si on avait donné suffisamment
par rapport à ce qu’on obtenait. On avait un prix. Une somme.
C’était comme ça.
Une livre de tomates ? 1 brouzouffe et quelques.
Un mois d’habitation à l’abri ? 400 brouzouffes.
Une baguette de pain ? 0,70 brouzouffes.
Du coup, pas besoin de fabriquer 572 baguettes de pain contre un
mois d’habitation. Hop, tu sors tes brouzouffes et le tour est joué !
Bon, l’inconvénient, c’est que les brouzouffes, pour les avoir, tu peux
pas les fabriquer. Du coup, au lieu de perdre ton temps à fabriquer des
baguettes de pain, tu passes ton temps à faire des trucs contre
lesquels on te donne des brouzouffes, contre lesquels tu achètes un
mois d’habitation, une baguette de pain, une livre de tomate. On a vite
pris l’habitude, avec ce système, de déléguer. Chacun s’occupant d’un
p’tit bout d’activité, qui lui permettait de gagner ses propres
brouzouffes bien à lui. Et d’échanger ses brouzouffes avec ce que sait
faire le voisin. Au lieu de perdre son temps à apprendre du voisin
comment savoir faire ce qu’il sait, quitte à lui montrer, en échange,
comment faire ce qu’on sait faire, soi.
A force de
déléguer plein de trucs, on s’était dit, pour les décisions
importantes, on a qu’a faire pareil. Au lieu de se tenir informé, de
perdre des heures à débattre pour se demander s’il vaut mieux envahir
la Pologne ou filer des armes à l’Iran, on a qu’à choisir des gens qui
savent, on leur file des brouzouffes pour qu’ils puissent s’acheter un
mois d’habitation, une baguette de pain et des livres de tomates et
hop, c’est eux qui s’occupent.
Pour les choisir, on
organisait une sorte de grand marché. C’est l’épicier qu’en avait eu
l’idée. Chacun exposait pourquoi il était bien placé et intelligent, et
comment il comptait s’y prendre pour prendre des décisions à notre
place et puis, on choisissait, comme ça, en mettant les noms dans des
boîtes.
A la fin on comptait les noms et celui qui en
avait le plus avait le droit de décider. Comme c’était anonyme, il
décidait pour tout le monde. Pas seulement pour ceux qui avait dit son
nom. Les autres, ils avaient perdu, tant pis. Mais ils conservaient le
droit de dire qu’ils étaient pas d’accord, qu’ils avaient de meilleures
idées, mais c’était trop tard. Alors, ils expliquaient ça au bistrot du
coin, parmi les joueurs de billard et les buveurs immodérés qui
venaient donner 3 brouzouffes pour 25 centilitres de houblon fermenté
avec un peu d’eau.
Du coup ceux qui décidaient,
avaient un emploi du temps chargé. Ils couraient de réunion en conseil,
de brainstorming en débriefing, de déjeuner de travail en dîner de
colloque.
On avait aussi délégué la notion de
paix. On avait fait des gardiens pour ça. Comme ça si quelqu’un se
comportait d’une manière inopportune, on appelait les gardiens de la
paix qui lui disaient que c’était pas conforme et on était bien
tranquille. On leur avait filé des armes aussi. Oui, parce que on
s’était aperçu que ça calmait vachement plus vite les inopportuns.
Après tout, c’était des gens qui avaient fait le choix de veiller sur
leurs concitoyens, donc supposément assez éclairés pour faire un usage
essentiellement dissuasif de leurs armes, avec déontologie, mesure et
respect.
Un jour, dans ce pays fort fort lointain,
dans cette époque très très lointaine, un qui décidait avait une
réunion-dîner. En montagne. Avec des qui décidaient dans la montagne.
Au même moment, dans la même montagne, un inopportun avait décidé de
voler une voiture. (on appelait voler le fait d’utiliser un truc sans
avoir donné de brouzouffes avant, et sans avoir demandé). Les gens de
la paix, jugeant la paix gravement menacée on voulu arrêter
l’inopportun. Qui se rapprochait du lieu du dîner. Du coup, il a fallu
tirer. La paix était vraiment trop menacée. D’ailleurs l’un des gens de
la paix déclarait après les faits sur la radio du pays : « ce qui
importait c’était que le dîner se déroule bien ».
Le 29 Août 2006, à Sallanches, Savoie, France, la gendarmerie a
fait feu sur un voleur de voiture au volant du fruit de son dernier
larcin, au motif qu’il s’approchait de trop près du lieu ou Dominique
De Villepin prenait son déjeuner en compagnie d’élus locaux.
Le gendarme interviewé sur France Inter à ce propos déclare que
l’individu est blessé, mais pas par balle, mais que tout va bien
puisque de toute façon le but était que le déjeuner se déroulât bien.
Fin de la page d'histoire contemporaine comparée.
Merci de votre attention. Vous pouvez parler entre vous et vaquer jusqu'à 22h.
Bonsoir.